Accueil Brice Levy Koumba Okoumba Nkoghé : La courbe du soleil

Okoumba Nkoghé : La courbe du soleil

25 min lues
0
0
78
la-courbe-du-soleil

Ndjoye vient de terminer ses études et quitte la France pour retourner dans son pays. Quatre mois plus tard, il a rendez-vous au ministère du Plan. Après analyse de son dossier par les conseillers français, Ndjoye est nommé chargé d’étude. Deux jours plus tard, avec le ministre Ovanga, ils soumettent au Président de la République, Sita, le projet Alima pour la production de savon et d’huile domestique. Sita recommande au ministre du Plan de chercher un financement extérieur.

Un matin, Mba Ying, le Directeur Général du Plan, convoque Ndjoye pour discuter de l’agriculture, notamment de l’intérêt du tabac. Il estime que le tabac se vend mieux que tout le reste. Ndjoye argumente en faveur de la culture de bananes et de maniocs, qui seraient plus utiles aux populations. Pour Mba Ying, la politique, ou du moins la planification, poursuit le bonheur du peuple. Pour ce faire, l’agriculture doit se pratiquer non pas en fonction de l’utilité, mais de la rentabilité. Vendre l’illusion favorise le bonheur du peuple. En effet, selon Mba Ying, « les gens mangent et ne sont pas toujours heureux ». L’illusion les sort de l’ennui, les empêche de sombrer, de mourir de spleen. D’où l’intérêt pour une monoculture axée sur le tabac.

Un soir, Ndjoye répond à l’appel de son oncle Oméni. L’heure est venue pour lui d’hériter des attributs légués par son père avant son décès, lorsqu’il avait l’âge de sept ans. Il doit à présent assumer cet héritage et se plier à la loi : recevoir le pouvoir qui se transmet de père en fils, soit par héritage, soit directement dans le sang à la conception de l’enfant. Désormais, Ndjoye est « protégé, sublimé, illuminé ».

Un samedi, il se rend à la permanence du Parti Libéral de Mayi où a lieu une manifestation. On célèbre l’anniversaire de Sita, le président-fondateur du parti. À cette occasion, il y a une prestation de l’Union des Femmes de Mayi, un organe du PLM. Cette cérémonie a les allures d’un culte, d’un rituel qui célèbre, par des chants d’animation, les louanges du Président, assimilé au soleil. Le culte du soleil. Le sol invictus.

Plus tard, au cours d’une nuit, Ndjoye s’apprête à quitter son bureau lorsqu’il reçoit un coup de fil d’Ovanga, le ministre du Plan. Ce dernier lui annonce que le Président a décidé de le nommer DGA du Plan. Le ministre lui rappelle qu’il n’aime pas les intellectuels bornés et souhaite à Ndjoye de ne pas devenir un homme de confiance du Président, car il se ferait des ennemis. Il lui recommande toutefois d’adhérer au parti, au PLM, s’il veut conforter ses chances de gravir les échelons de la société, de « monter encore plus haut ». Ndjoye discute de son éventuelle adhésion au parti avec sa femme, Bignagni. Cette dernière lui dit que c’est « le bon sens ». Il ne sert à rien de « braver pour l’heure un pouvoir tout puissant ». Elle conclut : « l’administration conduit toujours à la politique ». Ndjoye a les sentiments confus. « Ses camarades et lui ont combattu le PLM durant des années, au prix même de leurs études, au prix même de leurs vies, puisque nombreux d’entre eux avaient péri dans les geôles du pouvoir. Y adhérer maintenant serait la pire des trahisons ».

Deux jours après, Ndjoye et Ovanga sont dans le bureau de Sita, le Président de la République, pour parler de l’avancement du projet Alima. Celui-ci est dans une phase décisive. Il est financé par des investisseurs koweïtiens qui demandent à l’État de Mayi un apport d’un demi-milliard de francs CFA. Ndjoye expose au Président Sita son idée de financement du projet. Le Trésor public ne disposant pas de l’apport demandé, Ndjoye explique que cela est dû au laxisme et au détournement. Les Koweïtiens s’en méfient. C’est pourquoi ils demandent des garanties. Aussi, Ndjoye propose qu’on leur donne de financer l’entièreté du projet ainsi que la gestion et l’exploitation de l’usine jusqu’à ce qu’ils rentrent dans leurs fonds.

Un mois plus tard, Ovanga presse Ndjoye de prendre sa carte du parti. Étant du même canton que le Président-fondateur, il doit montrer l’exemple. Il ajoute qu’en dehors du parti, on n’est rien. Ndjoye a peur du jugement des siens, les communistes de l’AREM. En réalité, il n’est pas encore prêt. Adhérer au PLM le gêne. Le soir, il reçoit la visite de Soumi, un philosophe et ancien camarade de l’AREM. Soumi encourage Ndjoye à adhérer au PLM afin de le détruire de l’intérieur, sinon d’en prendre le contrôle, le ravir à ses fondateurs. Le PLM est un parti redoutable, bien implanté et bien ancré. Ndjoye se demande pourquoi, malgré la pauvreté ambiante, les habitants de Mayi rallient-ils le parti ? Il trouve dans la passion et le culte de la personnalité la réponse à sa question. Le culte de l’homme remplace le bon sens, ce qui explique la dégradation du pays. Pour croître, le pays a besoin d’être en compétition avec soi-même et les autres pays. Ce qui signifie privilégier la créativité, encourager l’émulation entre les habitants. Et surtout transformer le Président de sorte à ce qu’il soit favorable à ce programme… libéral. L’AREM devrait alors avoir des hommes à l’intérieur du PLM et favoriser de l’intérieur l’avènement d’un pluralisme démocratique. « Convaincre plutôt que de forcer ». Telle est la théorie de la prise de pouvoir que prônent à présent les intellectuels.

Un matin de vendredi, déclaré jour férié, Ndjoye est convoqué d’urgence à la Présidence. Avec lui, le ministre des Sports et de la Culture ainsi que les Apôtres, une fange du PLM constituée de jeunes du parti qui ambitionnent fragiliser le pouvoir du Président. À sa tête se trouve Ndolo, le neveu de Sita. Ce dernier est préoccupé par la finale de la coupe interclubs, qui se joue dans une semaine entre deux clubs de la capitale. Il souhaite savoir comment éviter le déchaînement de violence. Car pour Sita, les sports de masse sont des « étincelles qui allument des guerres civiles ». À la préoccupation du Président, Ndolo conseille de mettre l’armée autour du stade avec des blindés et à l’intérieur avec des gourdins et des grenades lacrymogènes. Ndjoye propose de faire jouer le match sur un terrain neutre à Porjami. Le Président adopte la proposition de Ndjoye, ce qui est considéré par Ndolo comme un affront personnel à son intelligence. Aussi, déclare-t-il dans son for intérieur, la guerre à Ndjoye. Les Apôtres étant reconnus comme des adversaires dangereux n’ayant aucun égard pour les membres du gouvernement. Gabegie et détournement sont à leur actif. Ce qui pousse Ndjoye à conclure que finalement le destin du pays est moins dans « les mains du Président que dans celles de sa famille ». Aussi, contre le népotisme et la gangrène sociale, en appelle-t-il à l’avènement de la démocratie comme unique voie possible pour l’amélioration des conditions de vie des habitants. Cela passe par l’harmonie, la concorde. « Les changements que nous voulons doivent se faire, mais dans l’harmonie ». « Le mot le plus profond de la vie des sociétés est bien le mot “unité” ». Cela passe aussi par un Président éclairé par la conscience nationale, l’intérêt bien compris de la Nation. Et aussi un plan directeur de développement économique et social ayant pour priorité l’agriculture, les voies de communication de même que la formation. Ndjoye est promu Directeur Général du Plan.

Quelque temps plus tard, des étudiants et enseignants sont interpellés pour distribution de tracts hostiles au régime. Des tracts dans lesquels ils demandent l’instauration du multipartisme ainsi que la démission du Président. C’est le mouvement de libération national, LINA. Consécutivement à cette sortie, le PLM se réunit. Le parti unique considère la sortie du LINA comme une violence insupportable. Partant du principe que la violence d’un individu est illégale, trouble la paix et bafoue les lois qui s’imposent à tous, il faut faire respecter l’ordre établi en sévissant fort. Les apôtres avec en tête, Ndolo, le neveu du Président, proposent la pendaison. Les anciens opposants de l’AREM, ayant désormais intégré le PLM avec en tête Ndjoye, décident de défendre les membres du LINA qui viennent de poser un acte politique majeur révélateur d’un malaise profond. « Si l’harmonie existait au PLM, c’est ici qu’ils seraient venus poser le problème ». Aussi, au lieu de s’empresser de les condamner, il faut plutôt comprendre le maître mot de leur revendication : le multipartisme. Leur idée. On tue les hommes. Mais on ne tue pas une idée. « Les individus que l’on a ainsi supprimés finissent toujours par être glorifiés et sanctifiés. Et même ainsi, leurs idées se propagent ». Le Président arbitre et semble ne rien décider. Il consulte néanmoins Ndjoye en privé. S’il ne sanctionne pas, il pense que le désordre va s’installer. Ndjoye lui suggère de lancer un débat national sur le multipartisme. Ce qui serait conforme à sa politique de dialogue. Suite à ses conseils, le Président Sita confie à Ndjoye qu’il le nommera sous peu ministre du Plan.

Plus tard, la sentence sanctionnant le mouvement de libération national tombe. Trois membres du LINA seront pendus. Les autres sont condamnés à des peines de prison. Désormais, Ndjoye est l’ennemi direct de Ndolo et des apôtres à cause de ses prises de parole. Comme appris dans le cadre des études, « Dans l’histoire des empires, […], c’est souvent ceux qui sont autour de l’empereur qui sont le plus à craindre ». Constat que confirme le ministre Ovanga lorsque Ndjoye lui présente ses inquiétudes : « Autour du Président, il n’y a que des gens mus par des intérêts personnels et égoïstes ». Ce qui est cause d’une mauvaise gestion du pouvoir. Et « Un pouvoir mal géré entraînera la destruction de la nation, des enfants d’aujourd’hui et de demain ».

Entre-temps, Mayi connaît un boom pétrolier. Devenus immensément riches, Sita et son gouvernement improvisent des investissements de prestige. Puis, avec la baisse du dollar, l’argent vient à manquer. Mayi survit pendant un an grâce à un fonds pour l’avenir. C’est la crise. Un jour, Sita reçoit son ministre de l’Économie et des Finances, le ministre du Plan, son directeur, des financiers français et l’ambassadeur de France. Les fonctionnaires français se plaignent de ce que tout tombe en ruine parce que pas du tout géré. Ils en viennent à regretter d’avoir octroyé les indépendances. Ils recommandent : « Arrêtez le gaspillage, redressez l’économie ». Pour Ovanga, le ministre du Plan, le désastre vient du non-respect du plan quinquennal… « Nous nous sommes lancés dans des investissements désordonnés qui n’ont abouti à rien. Cet argent gaspillé nous fait défaut aujourd’hui ». Moukouyi, le ministre de l’Économie et des Finances, quant à lui pense « que toute réalisation a son importance pour la nation ». « Certaines actions peuvent apparaître prioritaires par rapport au plan quinquennal ». Mais c’est de la faute à personne si les fonds débloqués sont détournés. Ovanga poursuit avec l’énumération des causes de la crise. Il pense que « comme en médecine, circonscrire le mal afin de mieux le guérir ». Énumération des causes de la crise faites, Ndjoye en vient à la proposition de privatiser les entreprises du pays. Ce que le chef de l’État fait en privatisant les sociétés sur le point de déposer le bilan. C’est l’heure de gloire de Ndjoye. Une victoire éclatante. Ceci a pour conséquence une proposition d’entrée au gouvernement. Un gouvernement de technocrates. Ndjoye décline le poste. Sita le nomme alors Conseiller personnel avec rang et prérogatives de ministre d’État.

Le temps passe. De Paris, l’opposant Otouli se signale après une période de long silence. C’est un homme doté du pouvoir de la parole. Il promet de monter une armée au cas où Sita continue à refuser d’instaurer la démocratie afin de le pousser à démissionner. Mais le parti de Sita lui a proposé la présidence à vie. Proposition qu’il décline. Car il refuse d’être la victime d’un assassinat. En effet, selon lui, ce type de pouvoir se termine souvent par un assassinat. Alors Ndolo, le neveu, lui suggère de devenir roi de sorte à régner dans la quiétude et l’éternité. D’après la logique selon laquelle : « Le pouvoir ne se donne pas ».

Image de prévisualisation YouTube

Charger d'autres articles liés
Charger d'autres écrits par briska
Charger d'autres écrits dans Brice Levy Koumba

Consulter aussi

En été le nouveau (Livre audio)

En été le nouveau     …