Le roman “Un seul tournant Makôsu” décrit la transition d’un pays imaginaire, le Govan, vers une transformation structurelle dans divers secteurs, notamment scientifiques, techniques, industriels, agricoles, culturels et humains. Le thème central du roman est la transition, symbolisée par la construction de l’Université des Sciences et Techniques de Makôsu. Cette université est le point de départ d’une transformation vers le bien-être général par une prise en main de l’économie nationale.
Cependant, le roman met en évidence des obstacles à cette transition, notamment la mentalité des habitants du Govan. Ils sont souvent décrits comme démoralisés et démotivés, avec une tendance à détourner les projets pour leur propre gloire plutôt que pour le bien commun.
Le roman explore également les dynamiques de pouvoir au sein de l’institution universitaire et comment l’équilibre ethnique peut à la fois favoriser et entraver la bonne gouvernance. Il souligne l’importance de la compétence et de la capacité dans l’occupation des postes clés, indépendamment de l’appartenance ethnique.
En somme, “Un seul tournant Makôsu” est une chronique de la réalisation du projet Makôsu, un processus de transition vers une transformation structurelle de Govan, avec tous les défis et enjeux que cela implique.
Le roman
Pour des raisons de commodité liées aux représentations (nous imaginons la chose comme telle), nous utiliserons le terme de roman pour parler d’Un seul tournant Makôsu de Justine Mintsa, paru aux éditions l’Harmattan en 2004. En réalité, il s’agit d’une lettre, d’une correspondance. Cependant, cette lettre se manifeste sous la forme d’un journal intime. Ce journal intime est en fait une chronique, c’est-à-dire un récit authentique de faits dans leur déroulement et leur histoire, dans leur événementialité.
Le genre dont il s’agit est une sorte d’événement fractal dont le contenant est un roman qui se décline telle une lettre, un journal, une chronique.
“Tu es là-bas, en Amérique, et tu m’écris pour me demander ce que je suis devenue depuis notre séparation”.
“Comme je ne sais par où ni comment commencer, j’ai simplement décidé de t’envoyer mon journal, que je te prie de me renvoyer après lecture. Tes impressions seront les bienvenues” .
Le journal agglomère une somme d’agendas que l’on suppose au nombre de cinq. Il a pour destinataire Avis, à qui l’on demande de renvoyer le journal après lecture, accompagné de ses impressions. Avis est donc le lecteur modèle du journal, la figure du critique à qui l’on demande de renvoyer le livre, c’est-à-dire de réagir par le métalangage qui lui convient. Avis est le destinataire du roman. Mais en réalité, il est un personnage allégorique, indice du principe directeur du journal qui, en fin de compte, se découvre comme étant un recueil d’avis, d’impressions, de la façon dont les acteurs se représentent les choses. Le roman invite alors à le lire à partir d’une étude des représentations selon une méthode propre et contextuelle. “Les méthodes varient avec les individus”. D’où la notion d’impression, c’est-à-dire du sentiment personnel après lecture…
La transition
Le roman, intitulé Un seul tournant Makôsu, semble représenter un objectif à atteindre. Cependant, cet objectif apparaît comme provisoire, servant de préalable nécessaire à une finalité plus grande et principale. La notion d’unicité, exprimée par “un seul”, met en évidence l’importance du passage par Makôsu ou de la réalisation du projet Makôsu. Il s’agit d’un défi, rempli d’enjeux.
Le titre évoque simultanément un espace et un temps. Il fait référence à un lieu, un carrefour, où s’opère un tournant, symbolisant un changement de perspective, une véritable révolution. Parallèlement, le titre fait référence à un temps, un événement, une temporalité provisoire qui peut être assimilée à l’idée de transition. Cette transition représente le passage d’un régime de faits à un autre, d’un système initial à un système ultérieur.
La transition est donc le thème central du roman, l’enjeu principal de l’œuvre. Elle représente la transformation structurelle dont le roman raconte l’histoire. Un seul tournant Makôsu est la chronique de la réalisation du projet Makôsu, un processus de transition vers une transformation structurelle de Govan dans divers secteurs, notamment scientifiques, techniques, industriels, agricoles, culturels et humains.
« En effet, l’État govanais a décidé d’ouvrir une nouvelle université. Il semble prêt à tous les sacrifices pour que ce projet se réalise. Pour lui, la création d’un établissement destiné à la formation d’ingénieurs, de techniciens et de chercheurs est une priorité, dans le cadre du processus de prise en main effective de l’économie govanaise par les nationaux”.
L’objectif que vise le Govan est la prise en main de son économie. Ce qui suppose que dans le régime actuel, elle est aux mains des étrangers. Cela passe par la formation de cadres sensibles aux réalités culturelles et économiques du pays, ainsi que des patriotes. “À moins d’être des petits monstres, ces jeunes nationaux ne voudront pas indéfiniment saigner leur pays, du moins je l’espère”. Dans le régime actuel, les nationaux saignent leur pays et n’ont pas de prise directe sur leur économie qui ne bénéficie qu’aux étrangers et à quelques privilégiés du pays. “Pas plus tard qu’avant-hier soir, mon oncle faisait signer un contrat à un ingénieur français pour refaire la route centrale”.
La construction de l’Université des Sciences et Techniques de Makôsu est le point de départ d’une transition, une transformation vers le bien-être général par une prise en main de l’économie nationale. L’économie est donc à la fois le moteur et l’objectif de cette transition.
La mentalité frein
En tant qu’obstacle à la transition, la mentalité est souvent citée. De manière générale, les responsables de l’université sont confrontés à la démoralisation et à la démotivation. Ils forment alors un champ de force unifié contre les sceptiques du projet Makôsu. À l’image de Minko qui pense que le projet est voué à l’échec pour plusieurs raisons qu’il énumère, qui relèvent des pratiques habituelles ou de l’anthropologie. Parmi les pratiques courantes, on peut citer le détournement du projet annoncé pour être une université, qui peut finalement servir à autre chose, comme par exemple la mise en œuvre d’un bâtiment d’apparat. D’autre part, il y a la personnalité de l’homme de Govan, du Govanais. Il est perçu comme un homme qui n’a pas le sens de l’urgence et qui est un frimeur. Pour Minko, le Govanais ne sait pas prioriser. Il ne cherche pas non plus à résoudre les problèmes. Mais à épater. Ensuite, il bricole les choses comme il peut. Tant qu’il a épaté, il a réussi. Il se satisfait de cela et même du peu. Enfin, il détourne les projets. Un projet annoncé est détourné pour autre chose dans l’optique toujours d’épater. La notion d’épater est le creuset d’une rivalité de pouvoir qui consiste à montrer à l’autre que l’on est capable, à l’éblouir et par exemple à montrer que l’on n’est pas bête. Comme le représente Oyomo, avec les ingénieurs qui sortiront de la nouvelle université, “je crois que, dans mon coin, je me sentirai fière, parce qu’on aura prouvé qu’on n’est pas si bêtes”. L’adverbe “si” tempère le regard de l’autre qui nous pense de manière induite bête. Le Govanais est alors sous la domination de cette représentation de l’autre qu’il faut épater, impressionner. D’autre part, il faut impressionner le visiteur, même si le bâtiment a été construit pour servir d’université, le but visé n’est pas l’université, mais de parer le coin d’un superbe bâtiment. “Histoire de toujours épater, quoi”. Ainsi, cette mentalité est-elle, à proprement parler, un frein au développement. La mentalité de frimeur.
Les échelles
Dans Un seul tournant Makôsu, l’histoire se déroule au Govan, un pays imaginaire d’Afrique centrale bordant le Cameroun, qui le fournit en produits agricoles. La capitale du Govan est Filiville, située au centre du pays et abritant la seule université existante. L’État du Govan envisage de construire une deuxième université à Falaville, dans le sud. C’est à Makôsu, en périphérie de Falaville, que l’État du Govan a décidé d’établir la nouvelle université des sciences et techniques. Makôsu se trouve dans la province du Haut-Okié. Le Govan est un pays comprenant neuf provinces. Parmi ses habitants, on compte les Nupu du sud, les Ngof du nord, les Kété et les Toka.
L’université : une institution phare
L’université, en tant que projet de société, met en œuvre la politique du Govan. Elle est une institution dont la mission est de promouvoir la cohésion sociale et de réaliser l’organisation démocratique du pays. En tant que vitrine et phare, elle incarne le modèle de société que vise la politique publique de l’État du Govan.
Le gouvernement du Govan, par le biais de l’université, met en œuvre le principe de décentralisation. L’université est donc l’incarnation de la politique de décentralisation visant le développement inclusif du Govan. D’autre part, l’université, dans sa gouvernance, met en pratique la loi de la géopolitique, entendue ici comme l’équilibre ethnique. Selon cette loi, toutes les ethnies doivent être représentées dans l’occupation des postes clés d’une institution ou d’un département institutionnel. La géopolitique est donc la représentation, au niveau institutionnel, de toutes les ethnies du pays.
L’institution est le reflet de l’État en tant qu’ensemble de communautés territoriales nationales. Si une communauté se définit par une localité, cette localité doit pouvoir avoir son représentant au niveau institutionnel. L’institution est donc le garant de l’intégration et de l’inclusion sociale. En cela, elle est le socle de la cohésion nationale. L’institution est le reflet de la composante ethnique du pays.
L’institution : le cœur du pouvoir
L’équilibre ethnique au sein de l’institution révèle une lutte pour le pouvoir qui transcende les frontières ethniques. L’institution elle-même est le cœur du pouvoir : là où se trouve l’institution, le pouvoir est présent. On peut donc se demander pourquoi la décision a été prise de construire la nouvelle université dans le sud plutôt que dans le nord ou le centre. Cette décision semble révéler une lutte provinciale pour le pouvoir, où la province qui accueille l’institution devient de facto le siège du pouvoir.
D’autre part, une province acquiert du pouvoir lorsque ses ressortissants occupent des postes de responsabilité au niveau institutionnel. Le pouvoir est ici compris comme la capacité à assumer des responsabilités, à gouverner, à gérer des personnes et à prendre des décisions.
Dans Un seul tournant Makôsu, Justine Mintsa affirme que la géopolitique peut entraver la bonne gouvernance d’une institution. Il est, selon elle, certes démocratique que toutes les ethnies soient représentées dans un département, mais il est tout aussi important que seuls des individus compétents et capables occupent les postes mérités, qu’ils soient de la même ethnie ou non.
Le principal problème interne des institutions pour Justine Mintsa, est l’équilibre géopolitique, qui pourrait entraver le bon fonctionnement des institutions. Permettre à des ressortissants d’une même province, et plus encore d’une même ethnie, d’occuper les postes clés d’une institution pourrait favoriser d’après Justine Mintsa, une intégration réussie.
Cependant, il est important de noter que l’on ne pouvait laisser les ressortissants d’une même province, et a fortiori de la même ethnie, occuper les postes clés d’une même institution. Et ce afin d’obéir à la loi de la géopolitique.
En conclusion, bien que l’équilibre ethnique au sein des institutions soit crucial pour la représentation démocratique, selon l’avis de Justine Mintsa, il est impératif de veiller à ce que la compétence et le mérite soient les principaux critères de sélection pour les postes clés. Pour nous, la localisation des institutions doit être déterminée en fonction des besoins et des potentialités de développement, et non en fonction de luttes de pouvoir provinciales ou ethniques. Enfin, toujours d’après nous, il est essentiel de promouvoir une intégration sociale réussie qui reflète la diversité ethnique du pays, tout en garantissant le fonctionnement démocratique des institutions.
La géopolitique : une approche géographique du fait politique
Yves Lacoste considère la géopolitique comme une méthode rigoureuse d’analyse des conflits. Elle est une analyse multiniveaux qui nécessite l’articulation de plusieurs échelles d’espace et de temps, et demande de se placer dans les perspectives des différents acteurs en jeu. La géopolitique est définie comme « l’étude des rivalités de pouvoir sur des territoires et les populations qui y vivent ». Elle reste une méthode permettant de comprendre les conflits et les rivalités à travers le prisme de l’espace et des territoires.
Comme le définit Amaël Cattaruzza dans son ouvrage Introduction à la Géopolitique, « La géopolitique appelle à une approche géographique des faits politiques ». Son objet est l’exercice du pouvoir et vise à révéler les stratégies de domination à l’œuvre à travers la géographie et l’organisation spatiale. Elle décrit « des stratégies d’acteurs dans des rivalités de pouvoir et des conflits ».
Le pouvoir est défini de manière relationnelle comme « le pouvoir de quelqu’un sur quelqu’un d’autre, d’un groupe sur un autre, ou d’un groupe sur un territoire ». Comment chaque acteur se représente-t-il le monde ? Quelle valeur associe-t-il à l’espace ? Quelles stratégies met-il en place pour défendre ses idées ou servir ses intérêts ? Ce sont là les questions que l’on se pose en vue du décryptage géopolitique.