Accueil France La résistance de Glass : de 1844 à 1845

La résistance de Glass : de 1844 à 1845

24 min lues
0
0
312
q9orHHl00oSisyqMKSiOgM

L’expédition punitive

Au motif du pillage de deux navires français sur les côtes nord du Gabon, Bouët Willaumez reçoit les ordres d’effectuer une répression au village de Ré-Ntchindo connu sous le nom de Kringer (aujourd’hui Batterie IV). Ceci précipite l’occupation française. Bouët vient également au Gabon pour des raisons économiques mandaté par la Chambre de commerce de Bordeaux de même que pour des raisons politiques, signer des traités en vue d’élargir l’influence de la France dans le Golf de Guinée ou la Côte d’or… Dans cette optique soumettre les peuples. Comme le souligne le Capitaine Broquant dans son rapport de 1839,  il n’y a dans ces contrées « d’autre système politique que de soumettre le plus faible au plus fort ». C’est dans cette volonté de soumettre les peuples que Bouët Willaumez arrive au Gabon en 1839.

Le Gabon

A cette époque, le Gabon est une rivière, un prolongement de l’océan atlantique. Ses rives sont peuplées essentiellement de Mpongwé. Au nord, sur la rive nord, vivent les Agékaza. Une population qui s’identifie aux Anglais. Ce sont des anglophones. Au sud, sur la rive gauche on trouve les Adonis et les Agoulamba, liés à la France, ce sont des francophones. En dehors des Mpongwé, sur les rives du Gabon vivent également les Benga, les Akelés, les Sekiani… Une nouvelle population s’installe progressivement, venue du Cameroun, les Pahouin ou les Fangs.

Du Gabon, nous allons nous intéresser au village Olamba, communément appelé Glass en référence à son roi, King Glass pour les Anglais et Ré-NDama de son nom local. Et nous allons nous intéresser plus précisément à la résistance de Glass face à la pénétration française à la suite d’un dol, c’est-à-dire d’un traité malhonnête pour ne pas dire malicieux.

Le traité nocturne

Dans la nuit du 28 mars 1844, le négociant Amouroux se rend chez le Roi Glass. Il lui fait comprendre que Louis Philippe, roi des français, lui fait une demande d’amitié. Il signe un document présenté comme tel. Mais sans le savoir il vient de signer un traité par lequel il soumet son territoire à la souveraineté de la France. Le lendemain, le commandant Darricau signe également le document. Il intime à King Glass de se soumettre et de hisser le drapeau français dans sa cour.

La résistance

King Glass informe son peuple et convie les élèves de l’école de Baraka qui se constituent en un comité de rédaction. Pendant toute la nuit, il rédige dans la case du roi la riposte. Leur principal argument : le roi Glass n’a pas les prérogatives nécessaires pour signer un document qui engage la souveraineté de son peuple de même que de son territoire.  Les habitants de Glass engagent alors une résistance contre la France. D’abord, ils portent à Bouët une protestation écrite. Puis, ils envoient une pétition à la reine Victoria. Bouët Willaumez déchire la lettre de protestation et intime qu’on ne lui parle plus jamais en anglais. Les autorités françaises confirment le traité du 28 mars 1844. Dans lequel le roi Glass « désireux de ne pas rester isolé… concède à la France la souveraineté de son territoire, le droit exclusif de traiter avec les puissances étrangère ». On précise qu’il y a eu discussion et qu’on a tenu compte des objections des habitants. Mais les Américains de Baraka rapportent que les aveux de Ré-Ndama ont été soutirés sous la contrainte de l’ivresse.

Le 14 février 1845, un navire de guerre anglais mouille à Olamba. Croyant à une réponse de la reine Victoria suite à leur pétition, les habitants sont saisis par l’esprit de résistance. Il organise une marche jusqu’à Okolo, à Louis. Ils brandissent le drapeau anglais. Le bruit court que les Anglais vont venir chasser les Français. Brisset, commandant du fort d’Aumale, décide de châtier les habitants de Glass. On soupçonne les commerçants d’être à la tête du mouvement, notamment la famille Anguillé, le coursier Nkoto, le riche Songé… Le 27 juin, un second navire anglais est en rade à Glass. Les habitants hissent les drapeaux anglais et américain.  Un détachement français arrive pour enlever les drapeaux… Il fait demi-tour devant une foule acharnée. On décide de mettre Glass sur blocus. Sous la pression, le roi Glass promet de se soumettre. On lui intime de lever le drapeau français. Il hisse à nouveau les drapeaux anglais et américain. Le 4 juillet, désormais trois navires de guerre français bloquent l’accès à Glass. Les Anglais sont entretemps partis. Une négociation s’est opérée. Les anglais ont cédé le Gabon aux Français et les Français ont cédé aux Anglais une de leur colonie en Océanie. Le 26 juillet 1845, les Français débarquent à Glass secondés de 18 tirailleurs Sénégalais. On ouvre le feu. On canarde.On hisse le drapeau français. Glass est politiquement acquis à la France. Le 28 janvier 1848, le roi Glass meurt. Son successeur est décrit par la France comme un de ses sûr partisans.  Le chef Ntoko-Ré-Avonya, aussi appelé Koto ou Trueman, reste hostile à la tentative de colonisation du Gabon par la France. Il est le père de l’école de Baraka, partant de l’école du Gabon. Son projet faire des Gabonais de commerçants. « Nous voulons lire et écrire l’anglais afin de devenir de meilleurs commerçants ». Ntoko lutte pour maintenir l’identité et les traditions du Mpongwe contre le monde occidental moderne. Le 5 février 1952, le commandant français Vignon arme 70 hommes. Il somme Ntoko de se soumettre au prix de sa vie. Ce dernier se rend.

Les traités

Le traité de Glass intervient après plusieurs autres et avant un traité dit général qui soumet définitivement la Rivière du Gabon. Ce sont notamment la Convention de Rapontchombo ainsi que les traités de Louis et de Quaben.

Le 09 février 1839 par la signature d’une convention, le roi Denis cède une partie de terre à la France. Contre marchandise. Le 18 mars 1842, le roi Louis, Ré-Dowé, signe un traité, dit-on, par reconnaissance aux marques de bienveillance et de générosité du roi des Français. A qui il concède la souveraineté de son territoire situé entre Glass et Quaben et le Mont Bouët. Louis ne demande rien en échange. Contrairement à la convention signée avec Denis en 1839, c’est le traité du 18 mars 1842 qui accorde la souveraineté de la France sur le territoire Gabonais, par le biais du territoire de Louis ou Okolo. En effet,  comme le note Hubert Deschamp, “ La France acquiert, non seulement un terrain, mais la souveraineté et le droit exclusif d’arborer son drapeau. Droit et souveraineté limité à un village sans doute, mais c’était le pied passé dans la porte; celle-ci ne pouvait ensuite que s’ouvrir ”. Le 27 août 1843 Kaka Rapono dit Quaben, signe à son tour un traité dans lequel il réclame les avantages de Louis d’être sous la protection et l’autorité du roi de France à qui il cède la souveraineté de son territoire, le village Anwondo. Kaka Rapono demande l’autorisation de faire flotter le drapeau français sur ses terres. Le 1er avril 1844, on signe le traité général avec les chefs de l’Estuaire pour sceller la réunion du Gabon à la France. On concède la souveraineté de la rivière du Gabon au roi des Français. La France donne des cadeaux à tout le monde pour célébrer l’union excepté au roi Glass ainsi qu’à son village. On institue ainsi les coutumes, une pratique annuelle visant à donner des cadeaux aux chefs, inspiratrice lointaine de ce que l’on appelle aujourd’hui les dialogues, cérémonies, rassemblements au cours desquels l’on gratifie les participants et où l’on se partage le gâteau. Le 10 janvier 1848, il y a  “ un grand rassemblement des rois et chefs pour recevoir les cadeaux annuels des Français ; pour la première fois Glass et son peuple sont venus”.

Lever le drapeau anglais

Nous avons vu que pour marquer leur résistance à l’influence française, les Agekaza de Glass arboraient le drapeau anglais ou américain. Revendication avant l’heure de leur appartenance au monde anglophone. Quelle signification les Mpongwés d’Olamba donnent-ils au drapeau Anglais. Nous pensons trouver la réponse dans le projet de Ntoko qui demande des enseignants pour instruire son peuple : nous voulons apprendre l’anglais pour apprendre à lire et écrire afin de devenir de grands commerçants. De ce point de vue,  le drapeau anglais pour les mpongwé est un attachement à la relation commerciale. Ils ne revendiquent pas leur appartenance à la Grande Bretagne ou leur dépendance à la couronne anglaise. Dans la relation commerciale qu’ils entretiennent avec les pays occidentaux, les drapeaux leur permettent de distinguer les navires marchands et de savoir avec lesquels privilégier leurs activités commerciales. Les habitants de Glass ont privilégié le commerce avec les navires portant étendard anglais alors que les habitants de la rive gauche du Gabon, notamment les Adonis, ont privilégié le commerce avec les navires portant étendards français. Hisser le drapeau anglais pour les habitants de Glass signifie : “Nous sommes des commerçants. Nous voulons commercer”. Et en même temps ils indiquent avec qui ils souhaitent entretenir des relations commerciales. Depuis que les français ont décidé vaille que vaille de mettre les habitants de Glass sous leurs bottes, le drapeau anglais devient pour les Aguékaza un signe de protestation et un slogan politique contre l’entêtement de la France à prendre par la force la domination sur un peuple qui s’est toujours senti libre comme le vent, des fils du pays. Alors pourquoi ne hisse-t-il pas leur drapeau ? Parce que leur drapeau est sur le corps : le rouge, le blanc, le noir qui ornent le visage mais aussi les tissus des vêtements.

L’école de Baraka

Terminons par une note sur les anciens élèves de l’école de Baraka et quelques noms illustres du village Olamba. Avant d’énoncer les leçons que nous pouvons retenir de la résistance de Glass.

Kabinda  appelé James Moore : diplômé de l’école des jeunes garçons de Baraka. En 1848, devient professeur assistant. Il contribue à traduire la Bible en Mpongwé. Il abandonne l’enseignement pour le commerce plus lucratif. Solina Ayendjina encore appelé Jenny : femme instruite. Elle veut mettre en pratique les principes appris à l’école. Elle veut être honorer en tant que femme. Et veut être considéré comme un homme à part entière. Son combat : les valeurs sociales vis-à-vis de la femme. Elle lutte contre l’Asuko (l’échange de femmes) et la polygamie. Issembet : Diplômé de l’école des Garçons de Baraka. Enseignant de Mpongwé. Il voyage aux Etats-Unis dans le cadre d’un projet de traduction des écritures en Mpongwé. De retour à Baraka, Issembet quitte l’enseignement et entre dans le commerce. Kabinda, Solina et Issembet font partie du comité de rédaction lors des protestations contre le traité français. Paul du Chaillu, illustre habitant de Baraka devenu explorateur, écrivain, père de King-Kong. Jane Anyentyuwe, illustre élève de l’école de Baraka, symbole du mouvement féministe en Afrique, enseignante et infirmière.  Fille du riche Songé encore appelé Soni ou Harrington, avec Ntoko, promoteur de l’école de Baraka. L’école de Baraka est à l’origine d’un dictionnaire Anglais-Mpongwé et de plusieurs livres en langue Mpongwè sans compter les traductions de la Bible.

Leçons

Quelles leçons suggère la résistance de Glass ? Les leçons que l’on tire des événements d’Olamba au milieu du 19è siècle apparaissent multiples.  On y voit les origines lointaines de la marginalisation de l’opposant, le partage du gâteau à l’exclusion de ce dernier. Le fait de briser le sujet discordant de sorte qu’il est amené à prendre des positions qui l’humilient et par lesquelles il trahit sa cause de même que ses convictions. Appelé à se soumettre à la loi du plus fort. De l’autre on assiste à l’éveil des consciences, à la détermination d’une population à lutter pour la souveraineté et l’autodétermination. Enfin, on voit émerger la volonté de refuser au peuple la satisfaction de son choix. Le peuple opprimé, réprimé pour son choix, le choix de commercer avec qui il veut … Commercer pris ici dans toute sa sémanticité. Comme on pourra le voir plus tard à toutes les élections où le peuple est convié à s’engager pour l’option d’une voie, en butte à la loi du plus fort qui tire sur ses aspirations. On peut noter également cette propension à se tourner vers la communauté internationale en vue qu’elle vienne et règle les litiges intérieurs… Mais la communauté internationale joue à flirter avec le détenteur de la force abandonnant le peuple à son sort…

Charger d'autres articles liés
Charger d'autres écrits par briska
Charger d'autres écrits dans France

Consulter aussi

L’Oubli du Peuple au Gabon

L’oubli du peuple est le processus par lequel les souvenirs collectifs d’événements import…