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Angèle Rawiri et la permanence du bien et du mal

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Elonga d’Angèle Rawiri. Paru en 1980. Considéré comme étant le premier roman gabonais concurrentiellement à l’Histoire d’un enfant trouvé de Robert Zotoumbat.

Elonga. Résumé du roman : Reflet de l’amour et de l’innocence, Igowo est un jeune homme de 24 ans souffrant d’absence d’affection parentale. Il a grandi à Barcelone en Espagne, avec Bernardo son père. Ce dernier, au soir de sa vie, regrette de n’avoir pas aimé son fils. Aussi, en pleine agonie, il donne pour dernière recommandations à Igowo, d’aller au Tsempolo, à Elonga, retrouver la famille de sa mère Nzame, une institutrice décédée après l’accouchement de son fils. Un mois après le décès de son père, Igowo a pour projet d’aller enseigner à Elonga. Alberto, son meilleur ami, tente de l’en dissuader. Mais une force irrésistible l’attire vers la terre de sa mère.

Elonga est un texte écrit sur le principe de l’antithèse. Le roman évolue par contraste. Ce contraste trouve sa manifestation par excellence dans la figure du métis. Celle-ci définit l’Africain contemporain. Ce dernier est désormais un homme métis. Le métissage est la coloration de sa personnalité. Il manifeste le conflit intérieur de l’Africain tendu entre nécessité de s’émanciper et nécessité d’éviter l’aliénation culturelle. L’émancipation étant ici dans l’univers d’Elonga le processus d’occidentalisation par lequel l’Africain rejette ses coutumes et ses traditions. Ce qui aboutit à terme à l’aliénation c’est à dire à la colonisation mentale, au devenir autre de l’Africain, au devenir occidental de celui-ci…

L’Africain, devenu métis est divisé entre la nécessité de défendre à tort ou à raison des valeurs importées ou imposées d’un côté, et de l’autre à se connaître, à connaître les valeurs de la civilisation sienne : la civilisation africaine. Le mouvement du roman prend fait et cause pour une africanisation avec ce que cela implique comme tiraillement intérieur. Car le métis, définition de l’Africain contemporain,  est ce qu’il est : une assomption de la différence. Toutefois, le roman Elonga est une invite à la prise en considération de la part noire du métissage. Ce que l’écrivaine Rawiri laisse suggérer à travers le portrait du personnage principal de son roman à savoir Francisco Igowo. “Son métissage tirait plutôt sur le noir, ce qui lui donnait un teint brun et mat”. C’est ainsi que le personnage principal du roman est introduit dans un voyage du héros qui le mène de l’Occident à l’Afrique. Non pas dans l’Afrique de Côte d’Ivoire, ou l’Afrique du Sénégal ( l’Afrique d’aujourd’hui, réelle et palpable), mais dans l’Afrique des temps premiers. L’Africain devenu métis est convié à une exploration de l’ Afrique ancestrâle. D’où le voyage à Elonga.

En Pwonguè, une langue du Gabon, ou plus généralement en Myéné, elonga signifie entre autres : autrefois, ancien, premier. Au Gabon, l’accès au premier, à l’ancien, à l’autrefois, à l’ancêtre, se fait par un mode particulier de voyage : le voyage initiatique. Un voyage qui a pour scène la personnalité et pour but la quête de l’identité. Angèle Rawiri fait évoluer son personnage principal dans un double récit. Un récit de la vie banale, de la vie de tous les jours, la vie réelle, et de l’autre elle confronte un corps innocent avec une remise en cause de ses convictions, de sa personnalité et de son être tout entier, y compris jusqu’à sa propre vie par un autre récit, subtil, symbolique. Remettre en cause la vie, c’est cela qu’on appelle l’initiation, dont le but est la nouvelle naissance. C’est au niveau de ce récit initiatique que se trouve la clé du roman Elonga. Dans celui-ci,  les événements y sont relatés de telle sorte à répondre à la problématique suivante : relativement à Igowo,  voulait-on “lui éviter une aliénation culturelle dont sont menacés ceux qui, de quelque origine qu’ils soient, méconnaissent la valeur de la civilisation africaine ?”. La réponse à cette question n’est pas un afrocentrisme, un repli de l’Africain sur soi, mais un déploiement de celui-ci comme acteur, sujet et force de proposition dans un monde ouvert, métissé. En effet, “les peuples noirs ont beaucoup de choses à nous apprendre”. Tel est ce que pense Pierre Henry, un sociologue français, ami d’Igowo, promoteur d’un monde uni et en paix. Il est dans l’ouvrage Elonga porteur de la thèse suivante : l’Africain oublieux de sa culture, sera amené à l’apprendre des occidentaux africanisés. Une thèse que développe en 1963 le film la Cage, réalisé par Robert Darène. Avec pour acteur principal Philippe Mory.

Le roman Elonga plonge en pleine Afrique. Une Afrique particulière, celle des temps premiers, une Afrique profonde. Le roman se structure de la façon suivante : l’attrait de l’inconnu, séparation d’avec le monde connu, l’entrée dans le sein de la mère. Cette entrée dans le sein de la mère montre que le personnage a cessé d’être dans le monde réel (Barcelone) mais qu’il entre tout à fait dans le monde inconnu. L’entrée dans le sein de la mère est une autre façon de parler d’initiation. Une initiation qui plonge dans l’ailleurs, dans l’outre-tombe à la rencontre  de l’en-soi, à la rencontre de l’ancêtre.

L’initiation est donc non seulement une entrée dans le sein de la mère, elle est également une mort, un voyage dans le séjour des morts dont le retour s’assimile à une nouvelle naissance. Francisco Igowo assimile sa présence en Afrique, à son arrivée dans le continent, comme un séjour dans le ventre de la mère. “L’Afrique l’avait happé dès qu’il eut mis le pied sur la passerelle pour descendre de l’avion : une étrange et lourde chaleur moite et une odeur, à la fois subtile et entêtante, l’enveloppait, le pénétraient. Igowo avait le sentiment que son corps s’abandonnait à la caresse multiforme d’innombrables mains de coton impalpables. Il se dit que c’est ainsi que, avant sa naissance, l’enfant doit se sentir dans le sein de sa mère”. L’entrée en Afrique équivaut à l’entrée dan le sein de la mère ce qui signifie en langage symbolique être en pleine pérégrination initiatique. Ce voyage initiatique plonge dans le séjour des morts d’où une forte symbolique ayant trait à ce lieu. L’auteure fait référence à la montagne, à la colline qui renvoient à la fois à la femme, à la mort, au culte de la femme et de la mort. Ensuite, le guide d’Igowo arrivé en Afrique, le taximan, est décrit sous les traits squelettiques de la mort. “Le chauffeur était un homme de haute taille, d’une soixantaine d’années et d’une maigreur squelettique”. De plus Igowo, lui-même se vêt de couleur blanche comme pour passer une initiation : “Igowo, heureux, prend rapidement sa douche, met un tricot blanc sur un jean de même couleur”. Comme on a pu le voir récemment avec Samuel Lee Jackson chez les Benga, la couleur blanche a une forte résonance initiatique. Elle est non seulement la couleur de la pureté, de la nouvelle naissance mais également la couleur de la mort, la couleur des ancêtres.

Mais encore, l’onomastique est égrenée comme des indices d’un monde inconnu, initiatique qui disent que le Tsempolo est un pays de l’Afrique, non pas de surface, mais d’une Afrique profonde et occulte. Sa capitale est Elonga. Au niveau onomastique, les personnages portent des noms tels que : Mboumba : arc-en-ciel. Serpent. Puissant fétiche se nourrissant de sang humain. Pemba : kaolin blanc. Mpira : poudre de charbon. Eboma : poisson de mer. Elombo : rite initiatique féminin. Culte des génies. Igowo : se rapprochant d’Iguwu, crapaud de mer, diable. Nzame/ Zame : Dieu. Le crapaud de mer étant le poisson utilisé pour créer des Matengou, le Ditengou (le fantôme), ce que les haïtiens nomment zombie.

Pour finir, ce qui conforte dans l’idée que le Tsempolo est un pays d’Afrique d’outre-tombe , c’est le titre même du roman à savoir : Elonga. Dans le dictionnaire Mpongwè-français de l’abbé Raponda Walker, Elonga est défini ainsi : séjour d’outre-tombe. La mort. Or « veux-tu connaître ce que c’est la mort ? Voici la mort : Bwiti” (question que l’on pose à l’impétrant au voyage initiatique)… La mère d’Igowo décédée, est décrite sous les traits de la sacralité : “on vénérait son nom”. Or  au Gabon,  ce qui est absent mais présent, mort et vénéré est cela que l’on appelle le bwiti. Le culte des ancêtres. D’autant plus que la mère d’Igowo est élevée à la dignité de dieu (l’apothéose). Elle s’appelle Nzame, Zame : Dieu.

Dans le monde d’outre-tombe, dans le séjour des morts, Igowo a à se confronter afin de se situer, avec ce que l’Afrique a de plus profond mais également avec ce que l’humanité a de plus permanent à savoir : la question du mal radical. Dans le roman Elonga, il y a comme une menace, “une menace imprécise” qui s’égrène tout au long du texte. Il y a une montée de la haine, une amplification de celle-ci sous le mode sournois, hypocrite qui explose à la faveur de la jalousie en conflit frontal du mal contre le bien.

C’est finalement par rapport à cette question que l’Africain a à se définir, à inventer les formes nouvelles de son identité. Au chapitre 7 de la première partie du roman, on assiste à un changement du temps de narration. Du récit au passé, on plonge dans une parenthèse dans laquelle le récit s’énonce au présent. C’est comme si l’écrivaine voulait introduire une vérité éternelle, scientifique ou mettre en évidence un éternel retour du même. La mise en scène du roman familial mais surtout la mise en scène du conflit permanent entre le bien et le mal.

Si tout passe, si tout change, ce qui demeure inchangé c’est la permanence du conflit du bien contre le mal. Loin d’y voir une incohérence, le brusque changement de la temporalité narrative obéit à l’énonciation de cette vérité. Il obéit également au procédé d’écriture de l’auteure qui se déploie par contraste.  La narration quitte le souvenir pour intégrer la vie réelle telle qu’elle se vit maintenant, à l’instant… La présentification vise une meilleure identification du lecteur qui intègre la vie des personnages et vit pour ainsi dire en live avec eux, les événements tragiques qui s’annoncent.

Le temps narratif au présent est une parenthèse qui sert d’annonce et de suspense, l’ouverture d’un couloir temporel. Avant de reprendre le cours normal de la narration dans le temps rapporté du souvenir, dans le temps du passé simple ou de l’imparfait.

Pour Angèle Rawiri, ce qui est permanent, et qui constitue le véritable défi de l’Africain aujourd’hui, c’est la réalité du mal, du conflit du mal contre le bien. La nouvelle naissance, l’homme nouveau africain implique d’avoir tranché cette question, de s’être confronté à cette part en soi, mystérieuse, maléfique qui pousse pour un rien à faire de la vie d’autrui un véritable enfer, à répondre au bien reçu par le mal, par la sorcellerie. Parce qu’ à cause de cela, le roman Elonga plonge en pleine épouvante, on peut le définir comme étant un roman à la fois merveilleux et fantastique. Qui plonge dans un univers ou l’occulte est la loi ou surgit comme une inquiétante étrangeté dans la vie des personnages. Un peu comme ce passage du monde réel au monde surnaturel vécu par Igowo : “une sensation de bien-être le gagnait progressivement, alourdissant les paupières. Il ouvrit un moment les yeux. Autour de lui, les objets se déformèrent puis s’effacèrent tout à fait”.

L’écriture d’Angèle Rawiri est donc l’écriture du mal, comme ce qui demeure permanent dans la vie de génération en génération où que l’on soit ou de quelque sexe que l’on soit. Le mal, n’est le monopole d’aucun genre. Le bien aussi.

Aussi, l’écriture d’Angèle Rawiri telle qu’elle se déploie dans le roman Elonga, aboutit à la recommandation suivante : “tout concourt aujourd’hui à l’amélioration de l’existence mais dans sa recherche avide d’une vie matérielle meilleure, l’homme s’éloigne de ses saines traditions et perd son âme. Malgré les changements spectaculaires que nous vivons à l’heure actuelle, il y a néanmoins une notion qui demeure inchangée, c’est celle du bien et du mal. Partout où tu iras, tu en entendras parler. Évite de faire du mal aux autres quelles que soient leurs dispositions à ton égard”.

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