Vers 1905, des missionnaires arrivent dans la Contrée. Ils confisquent tout objet rituel et cultuel. Ces derniers sont jetés dans la rivière Zadje ou envoyés dans les musées en Occident. Il s’ensuit une sécheresse qui occasionne une grande famine. Dans chaque famille, il y a de nombreux morts. Le père de Ngoye meurt, emporté par la maladie pour avoir cédé le fétiche de la famille aux missionnaires. La mère de Ngoye qui vient de mettre au monde son enfant, subit le rite du veuvage (réclusion, humiliation, pimentage, bastonnade…). A la fin de la réclusion, elle décide de migrer vers Nkemboma, la cité de l’espérance, une mine de diamants située à une semaine de marche de la Contrée. Tenaillée par la faim et la soif, elle parvint au prix d’un dernier effort dans un village abandonné situé à un jour de marche de sa destination, protégeant son bébé, malgré les multiples syncopes. La mère de Ngoye y attend la mort. Mboula, un commerçant qui se ravitaille à Nkemboma, décide, accompagné de ses serviteurs, de faire une halte au village abandonné. Alertés par des pleurs, ils trouvent plus tard dans une case prête à s’écrouler, un bébé en train de jouer à côté d’une femme étendue, en train d’agoniser. Ils offrent à la mère de Ngoye sa dernière sépulture. Mboula adopte ce dernier, l’enfant trouvé.
L’histoire d’un enfant trouvé est un chef d’œuvre littéraire qui a dû attendre cinquante ans pour que l’on profite de l’accès à ce qu’il a de pertinent. Jusque là, on est resté aveugle à la contribution majeure qu’il apporte : une définition de la littérature et une définition de la vie. Qu’importe si L’histoire d’un enfant trouvé est un roman ou pas. Ce qui importe c’est ce que dit le texte et ce que Zotoumbat a voulu transmettre par celui-ci. Le texte d’abord. Ensuite le dehors. Enfin le texte pour comprendre à la fois le dedans et le dehors, l’ici et l’ailleurs, le textuel et le non textuel. Ce n’est pas faire œuvre de critique lorsque l’on ne s’appesantit que sur le peri ou le para-textuel. Description, analyse, commentaire et critique seront toujours les mouvements nécessaires à la compréhension d’une œuvre littéraire.
La critique du dehors fait du mal aux œuvres et empêche d’accéder aux messages de l’écrivain. La critique du dehors est celle-là que pratique la plupart des spécialistes des textes au Gabon. Si bien qu’elle passe à côté de l’œuvre, de sa raison, de sa fonction, de son sens. C’est ainsi que l’on est resté à graviter autour du texte de Robert Zotoumbat, L’histoire d’un enfant trouvé paru au Cameroun en 1971. On est resté à considérer son aspect événementiel ou genrologique sans vouloir accéder à la substantifique moelle de celui-ci.
Quoique certains refusent le caractère événementiel de L’histoire d’un enfant trouvé, il n’en demeure pas moins que la critique bégaie sur le statut de cette fiction narrative. Revenant sans cesse sur celle-ci comme pour reposer une question mal répondue ou peut-être mal posée. L’événement est que le texte de Zotoumbat a surgi dans l’histoire comme étant le premier roman gabonais. Ce qui fait qu’au niveau genrologique on bégaie à se demander si c’est un roman ou pas. A cette question quelque soit la manière de la répondre on aura toujours raison, si raison il y a. Mais en gros, deux camps se positionnent. Un dit que L’histoire d’un enfant trouvé est une nouvelle. Il déploie l’argumentation nécessaire pour soutenir cette position. Notamment l’argument technique du nombre de pages : un roman est une narration ayant au minimum cent pages. L’histoire d’un enfant trouvé en a moins, donc ce n’est pas un roman. Le deuxième camp dit que c’est un roman : c’est une narration qui subsume à elle seule une diversité générique. Or telle est la définition du roman, un genre qui a pour vocation la flexibilité générique, la vocation à subsumer la totalité des genres, de brouiller la frontière entre ces derniers. Au point où on ne sait pas exactement ce que l’on écrit. Indiquant « roman » juste pour faire genre mais avec la pleine conscience de la nécessité de redéfinir ou de renommer la notion de genre.
Or Zotoumbat n’a jamais indiqué l’appartenance genrologique de son texte. Lorsqu’on lit le contenu de celui-ci, ce qui revient… et en littérature la répétition fait sens, elle suggère le lieu du sens, l’endroit où il faut s’arrêter pour comprendre… Zotoumbat ne parle ni de roman, ni de nouvelle. Ce qui revient c’est la notion d’histoire entendue comme récit des événements de la vie. C’est une narration ayant pour objet la vie menée, souhaitée, espérée. L’histoire d’un enfant trouvé n’est rien d’autre, en termes de genre, qu’une histoire, une narration, une fiction de la vie, une remémoration, une transmission, quelque chose proche du conte, au sens où l’on raconte une histoire. D’autant plus que l’intrigue plonge dans un contexte d’époque de même que de société où le conte est par excellence le genre de la fiction narrative. La notion d’histoire prend en compte à la fois roman et nouvelle. Si la phrase est pour le discours l’élément, la nouvelle est pour le roman la dimension narrative élémentaire. Bien évidemment ce qui se ressemblent se dissemblent à la fois à la manière des synonymes ayant en même temps des sèmes communs et non communs, des variants et des invariants.
La critique du dehors portée par une sociologie du texte annoncée non aboutie, a fait que l’on est restée en marge du texte si bien que l’on ne sait pas jusqu’à présent ce que dit l’auteur ni son texte, le message porté transmis par le texte et en quoi L’histoire d’un enfant trouvé est en soi un événement réellement littéraire. Écrire est une contribution de réponse à la question du qu’est-ce que la littérature et la volonté de former l’homme. Il y a donc une dimension littéraire et une dimension humaine voire existentielle du texte qui sont restées en marge du regard critique.
Qu’est-ce que du poétique permet d’engager l’éthique dans le texte de Zotoumbat ?
L’histoire d’une enfant trouvé est structurée selon le principe suivant : « La vie ne nous donne jamais ce que nous désirons au moment où nous le voulons, tout est accident ». Ce principe génère et organise le texte. Tout part alors d’une situation dramatique de la vie. De cette dernière naît le désir de s’en sortir. On fournit les efforts nécessaires pour. C’est au moment où l’on ne peut plus en fournir que la situation se décante par accident (par deus ex machina), comme par hasard, par dévolontarisation.
La logique principale du texte de Zotoumbat est donc celle de l’attente : faire ce qui dépend de soi et attendre. C’est en propre la logique de l’espérance : l’action de soi s’accomplit par une intervention tiers. Autrement dit nous sommes liés, nous dépendons les uns les autres. L’écriture de Zotoumbat s’énonce ainsi sur l’axe de la temporalité. Le temps est le sujet principal de son écriture. Remarque : comme de l’histoire. Une affaire de temps. Ici, plus précisément, de timing. Le principe organisationnel du texte, chez Zotoumbat, est un effet de l’expérience de la vie et de la leçon qui en découle. Ce qui fait penser au principe du conte dont la finalité consiste en la formation de l’homme, de l’enfant en vue d’affronter la vie.
La leçon de vie qui préside à l’écriture de L’histoire d’un enfant trouvé est la suivante : « La vie est comme une ombre, elle fuit lorsque que vous la suivez, mais vous suit lorsque vous la fuyez : elle vous aide aux moments inopportuns et vous délaisse quand vous désirez de l’aide. Mais parfois elle vous donne presque tout ce dont vous avez besoin, mais seulement pour vous l’arracher ensuite ». L’autre leçon de vie qui sous-tend le récit est que l’on peut avoir plusieurs pères, des pères de substitution. Mais on a qu’une mère. N’importe qui peut jouer le rôle de père dans nos vies. Mais celui de mère est irremplaçable. Seule une mère se sacrifie pour son enfant. L’on peut aborder le texte à partir d’un autre questionnement : le mal que l’on fait à autrui est-il plus légitime que le mal de ce dernier en réponse contre le nôtre ?
L’enjeu littéraire du texte de Zotoumbat se joue au sein de ce que l’on peut appeler la narration gémellaire : un texte généré par un double narrateur. Plutôt, par un narrateur dédoublé. Il y a un double programme narratif (enchâssement, mise en abîme). Toutefois ici, le second programme demeure l’émanation narrative du narrateur principal, supporté par un narrateur double de celui-ci. Autrement dit, le narrateur principal du texte se projette dans un avatar pour raconter l’histoire qu’il raconte au narrataire. Le narrateur projette un double gémellaire avec qui il est en instance de vis-à-vis afin de générer le récit. C’est comme un homme qui devant le miroir se raconte sa propre histoire. Mais ici, c’est l’image dans le miroir qui raconte à la personne hors du miroir. Ce qui nous situe au niveau de la double subjectivité ou de la double personnalité. Ce qui est en propre l’acte même de l’écrivain : mettre en scène des personnages à qui l’on donne la parole afin de déployer l’univers narratif et fictionnel. Ces personnages ne sont que l’émanation de l’écrivain même, siège d’une intersubjectivité ou d’une visitation intersubjective : le corps en transe du banja…