Nouvelle de Marcel Nguiayo Effam extrait de Si je mens…
Sylvestre, membre du syndicat des enseignants, vit au quartier Bellevue de Libreville. Il emménage au quartier Venez-voir à proximité de l’église évangélique Dieu ne dort pas. Un matin, pendant qu’il dort, il reçoit un choc sonore et sursaute de son lit. Il se découvre un don de conteur. Il raconte comment dans ses simples atours, un cinglé a bastonné les fidèles d’une église.
La nouvelle “Venez-voir” développe trois thèmes : la nuisance sonore, la mythomanie et la création littéraire.
La nouvelle “Venez-voir” a pour thèse : “la nuisance sonore rend fou”. La pollution sonore produit la folie ainsi que la distanciation sociale. L’église produit des fous. La nouvelle invite les églises évangéliques à reconsidérer leur rapport au bruit et à la nuisance sonore. Se plaindre du bruit est pour l’église évangélique la manifestation de la présence satanique en soi. Aussi le plaignant doit-il passer par la délivrance. “Cher monsieur, il vous faut une délivrance”. Pourtant une forte exposition au bruit a des effets déplorables sur la santé des individus : trouble cardiovasculaire, affaiblissement du système immunitaire, diabète, symptômes dépressifs, troubles cognitifs, dégradation de l’état de santé. Si Dieu ne dort, l’homme a besoin de repos et de sommeil. Dieu n’a-t-il pas endormi Adam, ne parle-t-il pas d’une manière ou d’une autre y compris par les rêves ? L’homme n’étant pas Dieu, l’insomnie lui est nuisible comme le bruit. Aussi l’église doit-elle baisser son orchestration d’un ton , créer et maintenir la paix de l’esprit tout autour d’elle. Le salut de Jésus n’est-il pas : “Que la paix soit avec vous” ?
La nouvelle “Venez-voir” a pour autre thèse : l’assujetissement au mensonge. Lorsque l’on ne veut pas entendre la vérité, on est sujet au mensonge. Le dédoublement de l’identité ou de la personnalité multiple. Le personnage est devenu un signe ambigu. Le regard porté sur lui le voit comme fou. Le regard porté sur soi n’a pas conscience de l’altération cognitive subie. Un peu, comme on dit, un fou s’ignore fou. Aussi ce rapport faussé à la réalité conduit le personnage à mentir en toute sincérité consciente; à dire la vérité sincèrement. Mais cette vérité n’est déjà plus adéquation à la réalité mais appartient à l’ordre d’une autre relation à l’être. Le personnage est devenu mythomane, créateur de mythes, d’ histoires. « Toutes les deux heures, un collègue sollicitait ses talents de conteur”.
Aussi la nouvelle plonge-t-elle dans l’art d’inventer des histoires, dans la création littéraire, dans la littérature. Dans ce qui n’est ni vrai, ni faux mais vrai et faux à la fois c’est-à-dire fiction. On est dans ce que l’on peut dire une double réalité. Un signe. Avec ses deux faces. Signifiant, signifié. Le signifiant : la nouvelle a pour univers Libreville. On y reconnaît les quartiers (Bellevue, Venez voir, Léon-Mba, Lycée d’Etat…) et le langage : Siffler (boire), finir quelqu’un (en découdre avec lui), bloquer (stopper net, empêcher), calculer (apprécier…), bamboula (désordre), nikes ( ailes de poulet braisées), boucan (désordre)… Le réalisme a pour fonction poser les bases de la vérité, garantir la crédibilité des propos, la condition d’évidence (si je mens, je baise ma mère), l’indiscutabilité. Mais cette réalité ouvre sur un autre monde. Celui du Libreville aliénant. Mais surtout sur le monde littéraire dans son aspect créatif. D’abord partir d’une idée : une fiction dans laquelle un cinglé bastonne les fidèles d’une église. Ensuite raconter une histoire cousue de toutes pièces. Se mettre du point de vue du lecteur, de l’auditeur. Du point de vue du narrateur : restaurer la vérité. Du point de vue de l’auditeur : dire ce qu’il veut entendre. Raconter c’est s’adapter à l’auditeur. L’auditeur ne veut pas la vérité, il veut des histoires.