François Hollande et les leçons du pouvoir
Les leçons du pouvoir sont un roman dans lequel François Hollande témoigne de sa présidence pour faire oeuvre civique. A partir de cette oeuvre, il veut que les Français comprennent les choix qui ont été faits et ce qu’a été l’exercice du pouvoir durant sa mandature.
François Hollande pense que présider est une attitude qui articule l’homme entre autorité et normalité. Il s’agit de savoir comment concilier les aspirations contradictoires des Français qui veulent de l’autorité mais qui ne veulent rien céder sur leurs droits et leurs libertés. Il s’agit de savoir comment exercer le pouvoir avec la hauteur qu’exige la fonction et rester humain et simple.
Pour François Hollande, un président est un homme normal, responsable de ses actions et sujet du peuple. « Le président n’est pas seulement chef d’Etat. Il est le premier citoyen de la nation : il lui doit des comptes. Il est souverain mais il est aussi le sujet du vrai souverain qui est le peuple. S’il est l’un plus que l’autre, il ne manquera pas de dresser l’opinion contre lui ». François Hollande ajoute, « Le président de la République fort heureusement n’a pas tous les pouvoirs ».
En République, « le président préside jusqu’à la dernière seconde et passe la main à son successeur qui est aussitôt à la tâche ». François Hollande estime que, le nouveau défi de la France est d’ordre international. Parmi les dossiers que devra gérer son successeur, il y a notamment la montée des « démocratures » qui « offrent aux peuples angoissés la fausse assurance de l’autorité et de l’orgueil nationaliste ». Des démocratures qui dans l’exercice du pouvoir n’ont aucun sens de la dignité humaine.
C’est ainsi que dans le cadre de la dédicace de son ouvrage dans une librairie de Rouen, François Hollande écrit : « Aux martyrs du Gabon qui savent que parmi les leçons du pouvoir, il y a le respect de la dignité humaine ».
Au cœur de tout : l’homme
Les propos de François Hollande à l’endroit des martyrs du Gabon, place la question politique dans le domaine éthique, dans le domaine du bien que l’on peut faire et du mal que l’on peut ne pas faire. François Hollande questionne ainsi le sens de la pratique politique au Gabon puisque c’est le propre de la réflexion éthique que de questionner le sens des pratiques. Selon Vernet et al., le mot « dignité » « apparaît quand la société féodale se segmente et s’organise, se fixe dans une sorte d’organisation définitive, légitimant une hiérarchisation de la société ». La dignité humaine de ce point de vue consiste à placer au cœur de tout et au sommet de tout l’homme ainsi que la valeur humaine.
Le message d’outre-tombe
Les Gabonais possèdent une dignité, ce sont des hommes. Les martyrs gabonais possèdent une dignité, ce sont des hommes. Le mot martyr renvoyant à ceux qui sont morts pour une cause noble, ces morts possèdent une dignité, ce sont des hommes que l’on a tué avec froideur et indignité. Il y a un non respect de la dignité humaine, c’est-à-dire un refus de la conscience de porter le regard en arrière pour ne fut-ce que reconnaître l’acte où l’événement cruel qui les a porter à la mort.
Ces morts, semble-t-il, ne sont pas dignes de la République puisque, la République refuse de les respecter. Selon Alain Vernet et al., le terme de « respect », signifie étymologiquement « regarder en arrière ». Or, par rapport aux martyrs du Gabon, ils n’existeraient pas, on ne leur accorde aucune reconnaissance et de plus ils sont déjà en arrière, c’est-à-dire qu’ils appartiennent au passé, notamment au 31 août 2016.
Les propos de François Hollande reconnaissent qu’il y a eu des morts, des personnes qui on été tués, puisqu’il y a des martyrs. Ces personnes mortes sont héroïques puisque ce sont des martyrs. Le plus intéressant dans les propos d’Hollande c’est qu’il fait parler les morts. Dédicacés aux martyrs du Gabon, les propos d’Hollande font parler ces martyrs… En réalité, il se fait le porte-voix de ces derniers, leur messager. Pour dire vrai, élégamment, en toute subtilité, François Hollande ne donne pas ici son opinion. Il donne l’opinion supposée des martyrs. Autrement dit, il n’est nullement engagé par ce qu’il dit. Le message des martyrs du Gabon dit qu’ils savent… Ils « savent que parmi les leçons du pouvoir, il y a le respect de la dignité humaine ».
C’est donc un message des martyrs adressé aux vivants. Le message de François Hollande parle éminemment du présent et de l’avenir du Gabon qui plus que jamais doit tenir compte de la dignité humaine dans l’exercice du pouvoir.
Parmi les leçons du pouvoir il y a que gouverner c’est respecter la dignité humaine. La dignité signifie que l’on est homme sans condition, que l’on est homme indivisiblement, que l’on est homme pareillement. Un président n’est pas au dessus de son peuple, encore moins l’éventreur de ce dernier.
La dignité des morts
Selon Tannela Boni, « la dignité humaine est d’abord celle du corps, vivant ou mort ». On ne peut pas d’un revers de la main tourner la page d’un assassinat collectif et planifié, quoi qu’on en dise. On ne peut pas faire comme si les familles endeuillées et même le peuple endeuillé ne souffraient pas le martyre. Surtout qu’il n’y a eu aucune cérémonie d’au-revoir.
Comme le dit Tannela Boni, « dans de nombreuses cultures, en Afrique et ailleurs, depuis des temps immémoriaux, le respect dû à l’humain est en premier lieu celui des morts. En effet, honorer le corps et la mémoire des morts est une exigence, voilà pourquoi ceux-ci ne sont pas jetés çà et là, comme des choses inertes dans la nature, à l’air libre. On en prend grand soin. On accompagne leur départ et le voyage dans l’au-delà ». Les Gabonais sont en attente d’une cérémonie qui rende hommage à leurs morts pour en faire le deuil et pour cette fois-ci vraiment tourner la page. Car pour tourner une page il faut la lire. C’est-à-dire tenir compte de l’histoire. Une page de l’histoire du Gabon s’est écrite le 31 août 2016. Elle restera écrite quelle que soit le déni ou le défi.
Les droits de l’homme
« Si, dans toute société et dans toute culture existent des devoirs de chaque humain à l’égard des morts, il devrait en exister, à plus forte raison, à l’égard des vivants ». Ces propos de Tannela Boni placent au niveau des droits de l’homme. En effet, parler de la dignité humaine, c’est placer au cœur des choses et du politique, la question des droits de l’homme et de leur respect. Le premier droit à respecter est le droit du peuple à choisir qui le dirige, à choisir son président. Le deuxième droit à respecter, c’est d’investir celui que le peuple a choisi comme président. Pas celui que la force et les institutions à la solde ont porté au pouvoir. Le troisième droit à respecter, c’est le respect de la constitution comme volonté du peuple et non comme caprice d’une oligarchie ou d’une famille. Le quatrième droit à respecter, c’est celui du droit à l’indignation, du droit à la résistance. Il est « essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ». « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
La pratique de la démocratie
Au final, la vrai question du respect de la dignité humaine pose les conditions de la pratique d’une démocratie véritable contre une démocrature et contre la tentation totalitaire.
Kouadio Koffi Décaird formule la question en ces termes : « n’est-ce pas l’interprétation réciproque entre démocratie et droit de l’homme qui peut restaurer la dignité et mettre l’homme à l’abri de l’horreur ? Comment l’implémentation de l’État de droit démocratique peut-elle promouvoir les droits de l’homme et restaurer la dignité ? ».
Le respect de la dignité humaine passe par la pratique d’un système politique qui prenne en compte la formulation des aspirations du peuple. Seuls la souveraineté du peuple et les droit de l’homme, sont au dire de Kouadio Koffi Décaird, capables de réhabiliter la dignité humaine mais aussi de la protéger. Ce dernier entend par l’atteinte à la dignité humaine, la brutalité de la force physique que l’on fait subir au peuple qui se caractérise par l’atteinte à l’intégrité physique, par le meurtre, par les viols, par la torture des prisonniers, par les actes d’humiliation… auquels il faudrait ajouter dans le cas du Gabon, les crimes dits rituels et les disparitions forcées.
Dans la dignitas
La boucle se ferme par ces leçons du pouvoir qui interpellent à la gestion humaine de l’Etat. Un président de la République n’est qu’un homme sujet du peuple à qui ce dernier a doté de beaucoup de pouvoir afin de le conduire avec autorité dans le strict respect de ses droits et de ses libertés. Mais surtout pour le rendre heureux. Il n’est pas dit qu’un homme seul est président seul, tout le temps et pour toujours que ce soit à travers lui-même ou à travers ses avatars familiaux.
Un pays est fait des hommes qui se succèdent au pouvoir pour porter haut les destinés de ce pays avec pour préoccupation principale le bonheur commun, le bonheur de tous, la félicité.
Le respect de la dignité humaine passe par le respect des hommes et des femmes qui font la force et la fierté d’un pays. Elle passe par le respect des morts et des vivants. Elle passe par le respect des droits de l’homme et du citoyen. Elle passe par le respect de la démocratie. Elle passe par l’unité du peuple. Unis, nous progressons en toute dignité, dans la dignitas.
Références :
François Hollande, 2018, Les leçons du pouvoir, Paris, Editions Stock.
Vernet A, Boutet C, Aubert JF, Vaillant C, Agboli K, Le Cleach Y, Sommer G, Desserprix V, Morais S. Le respect de la dignité de la personne humaine. Précisions sémantiques et conceptuelles à propos de cet impératif catégorique. L’Information psychiatrique 2016 ; 92 : 231-40 doi:10.1684/ipe.2016.
Tanella Boni, « La dignité de la personne humaine :. De l’intégrité du corps et de la lutte pour la reconnaissance », Diogène 2006/3 (n° 215), p. 65-76.
Kouadio Koffi Décaird, « La dignité humaine à l’épreuve des conflits armés : repenser les droits de l’homme avec Habermas », Présence Africaine 2016/1 (N° 193), p. 97-116.
Geneviève Koubi, 2008, Droit de résistance à l’oppression et droit à l’insurrection.