Loin d’être exhaustif, le présent article expose un extrait de la pensée critique sur la littérature gabonaise. Il offre, en termes de vulgarisation, un chemin possible du sens de la littérature gabonaise. L’ensemble des textes critiques envisagés ici prennent pour grilles de lecture l’histoire littéraire et la critique sociale. Quel est le sens de la littérature gabonaise ?
Le machisme littéraire
Dans sa thèse sur Les modalités de l’élaboration romanesque dans la littérature gabonaise, Narcice Wolfgan Mounziegou Mombo parle de la controverse autour de la figure de la femme dans le roman gabonais. Pour lui, il existerait un machisme inconscient dans le texte littéraire gabonais. Ce machisme tire sa source dans la réalité de la vie et dans les réprésentations sociales. Pour Mounziegou Mombo, « La réalité de la vie est la réalité machiste ». Le machisme littéraire, se caractérise par la présence massive du genre masculin dans la production littéraire. Ce machisme participe de la secondarisation de la femme ainsi que de sa déshumanisation. « nous sommes d’avis, dit Mounziegou Mombo, que le roman gabonais accorde presque de manière systématique un rôle secondaire à la femme. C’est cette situation qui laisse croire à une inscription involontaire ou inconsciente du machisme littéraire ». « le roman gabonais fait du personnage féminin un être oublié quand il n’est pas un personnage de second rôle ». Le machisme littéraire traduirait la déshumanisation de la femme dans la littérature gabonaise. L’une des modalité de l’élaboration romanesque dans la littérature gabonaise serait ce machisme inconscient qui tendrait à déshumaniser la femme. Lire le texte romanesque serait mettre en évidence ce machisme-là. Aussi, « Le roman gabonais doit se donner pour objet de réhabiliter l’humanité de la femme ».
Critique possible du machisme littéraire : La création littéraire est quête de l’autre, cet autre est toujours déjà le féminin en soi et dans les oeuvres. Le féminin est donc le moteur de l’oeuvre littéraire le générateur de l’écriture. On pense notamment à la catégorie de l’anima (la part féminine en l’homme) dans La poétique de la rêverie chez Bachelard. Ecrire c’est quêter l’autre, la part manquante source de paix et d’apaisement. C’est la reconstitution ou la recomposition de l’être total, le féminin et le masculin qui font l’humain. Selon la psychologie des profondeurs ou la phénoménologie bachelardienne, l’écrivain serait en quête de sa part féminine lorsque l’écrivaine serait en quête de sa part masculine (l’animus). Dans la tradition Gabonaise, le machisme littéraire trouve sa critique dans les traditions matriarcales dans lesquelles on consacre la primauté sociale de la femme. Dans les textes littéraires, la femme étant un sujet, un héros du texte, elle demeure sous la loi de la textualité qui nous présente la quête problématique du héros dans un monde aux valeurs dépravées.
Les figures de la femme
Dans La femme et ses images dans le roman gabonais, Chantal Magalie Mbazoo Kassa est à peu près du même avis que Mounziegou Mombo lorsqu’il dit que la production littéraire met au second plan la femme. A peu près parce que Mounziegou Mombo montre que ce phénomène est directement lié à l’art et non au genre de l’auteur. Il y a une indifférence générique du texte littéraire qui tendrait systématiquement à minorer la femme même si la plume à l’origine du texte est d’origine féminine. Pour Mbazoo Kassa les femmes sont secondarisées dans l’écriture par les hommes. C’est pourquoi seules les femmes pourraient convenablement parler d’elles-mêmes. « Ce que la femme est, ce qu’elle peut être ou peut faire est souvent l’occasion de spéculation de la part des hommes qui la peigne à leur image, selon leurs conceptions et leurs attentes et non du point de vue de sa nature et de ses aspirations à elle ». Pour Chantal Magalie Mbazoo Kassa, lire le texte, c’est procéder à la description des figures de la femme dans le roman. Procédant ainsi on accède à une meilleure connaissance de la société car pour Mbazoo Kassa, les personnages féminins peuvent être des fidèles interprètes et les baromètres de la société. Lire c’est analyser la condition de la femme, étudier la femme et par elle accéder à une étude de la société à laquelle elle appartient.
L’écriture féminine
Dans sa thèse consacrée à la Littérature gabonaise au féminin, Béatrice Bikene Bekale décrit l’écriture féminine comme étant le regard de la femme porté sur sa condition. Par elle la femme brise le silence, prend la parole par elle-même et se reconstruit dans son être. Selon Bikene Bekale, l’écriture féminine s’oppose à l’écriture masculine. Le discours idéologique masculin prétend travailler à la transformation de la société. La femme qui écrit prête la voix à toutes les autres et se préoccupe de l’amélioration de la qualité de vie des femmes en général. « la littérature féminine peut être appréhendée comme une réaction à l’impérialisme littéraire masculin ». « Le point de vue des romancières s’avère ici intéressant dans la mesure où il est juste question de peindre le chaos socio-politique, de pointer les mécanismes qui interviennent dans la construction de ces réalités africaines, qu’à proposer des valeurs de remplacement comme ont tenté de le faire leurs confrères masculins ». Lire le texte c’est lire l’aventure du regard de la femme sur soi et sur le monde. Cette aventure peut s’articuler en trois phases. Une première phase réflexive ou écriture en miroir. C’est la réflexion sur le moi et le discours féminin. Elle est caractérisée par le récit de vie, l’autobiographie, la création d’histoires de femme. Une deuxième phase d’extériorisation, stade du regard tourné vers la société. C’est une phase offensive dans laquelle la femme fait du bruit. Elle montre l’engagement de l’écrivaine qui parle de tous les sujets tabous sans tabous. Puis une troisième phase, celle de la subversion des formes littéraires. Elle montre la démarche créatrice de l’écrivaine à travers une écriture complexe aux techniques narratives subversives s’articulant autour d’une double stratégie : la subversion du champ social et la subversion de divers intérêts masculins. L’on peut lire le féminin dans le texte à travers le parcours suivant : Etat initial de dénuement, Métamorphose, Nouvelle vie, Nouvelle identité, Chute.
L’hybridité textuelle
Le courant de l’hybridité textuelle. Pour les auteurs de ce courant, le texte littéraire gabonais a une origine hybride et s’écrit sous une double perspective. La structure narrative donne un récit conté que structure un récit implicite. Ce récit implicite est l’écho oral, l’oralité implicite du texte littéraire qui se survit à travers le texte écrit et fait le lien ductile entre la tradition et la modernité, le présent, le passé et le futur. L’hybridité textuelle aboutit à une définition de l’identité comme hybridité. Cette hybridité qui définit l’identité de l’écriture et du sujet est pleinement assumée par l’écrivain.
1. Bellarmin Moutsinga
Dans Les orthographes de l’oralité : poétique du texte gabonais, Bellarmin Moutsinga montre que la littérature gabonaise procède d’une relation assumée entre l’écriture et l’oralité. Il y a une fécondation de l’écrit par l’oral. La littérature gabonaise revisite l’oralité entendue comme ethno-texte, récupération, greffe du texte oral issu de la culture populaire dans le texte écrit. La littérature gabonaise trouve dans l’oralité sa substance. Ecrire c’est sauvegarder, désirer laisser un héritage posthume. C’est donc une transposition. La fonction de la littérature est de rendre compte des traditions. Ecrire c’est chercher le geste de l’ancêtre pour faire face à la modernité défondamentalisée. L’écriture est vécue comme étant la traversée problématique de l’oral, de l’authentique, de l’identitaire. L’oralité est donc l’authenticité. Lire c’est analyser la rencontre des figures de l’oralité dans le champ romanesque.
2. Jean Léonard Nguema Ondo
Dans Le roman initiatique gabonais, Jean Léonard Nguema Ondo développe la thèse selon laquelle, la littérature gabonaise place au coeur de vérités cachées qui par principe fondent la thématique de l’initiation. Le roman gabonais est un récit initiatique. Il parle de la quête initiatique. Dans cette perspective, il convient de tenir compte du passé de la littérature orale en analysant dans le roman le scénario initiatique traditionnel. « L’hybridité générique ».
3. Jacques Chevrier
Dans la préface qu’il consacre au texte de Jean Léonard Nguema Ondo, Jacques Chevrier note que le roman gabonais investit tout un imaginaire autour de la société traditionnelle et de ses pratiques. Le roman gabonais s’écrit autour de l’opposition village/forêt. La forêt demeure par excellence le lieu de l’ésotérisme et où prennent place les épreuves qualifiantes de l’initiation. L’écriture est une parole à coque qu’il convient de décortiquer. Ainsi le texte est jalonné d’indices ou de figures susceptibles d’orienter la quête. La lecture devient le processus de dévoilement des réalités cachées. L’initiation qui est au coeur de la fiction gabonaise, est une entreprise totalitaire. Totalitaire dans la mesure où elle cherche avant tout la réconciliation de l’homme avec lui-même et avec l’autre.
La perspective initiatique de l’oeuvre peut se lire de la façon suivante : Opposition village/forêt, soif spirituelle, épreuves qualifiantes, figures indicielles d’orientation de la quête, le geste de l’ancêtre, réconciliation avec soi, réconciliation avec l’autre, le mythe intérieur au texte. Ce dernier permet la double appartenance simultanée de l’homme gabonais au passé et au présent. Le roman initiatique est donc la quête du geste de l’ancêtre comme clé de décodage du monde présent.
4. Narcice Wolfgan Mounziegou Mombo
Dans sa thèse sur Les modalités de l’élaboration romanesque dans la littérature gabonaise, Narcisse Wolfgan Mounziegou Mombo montre que le roman gabonais est un texte sur un texte. Il s’écrit sur un autre texte qui lui est oral. Ce qui aboutit à concevoir que « la volonté des romanciers gabonais est désormais de garder dans leurs textes un tableau rétrospectif de la tradition, des valeurs ancestrales ». « Le roman gabonais se substitue donc à la mémoire ancestrale ».
5. Annie Paule Boukandou
Dans sa thèse ayant pour thème l‘Esthétique du roman gabonais : réalisme et tradition orale, Annie Paule Boukandou soutient que « l’existence d’une littérature gabonaise serait non le fait de l’imagination, mais le résultat d’une prise en compte de la diversité de la culture gabonaise, de la tradition orale ». « Par littérature gabonaise, il faut entendre tous les genres et récits des auteurs connus ou adaptés de la tradition orale : chants, contes, épopée, légende, proverbe, mythe, poésie, roman, théâtre ». « A ces récits oraux hérités de la tradition s’ajoutent des œuvres fictives écrites en français qui sont d’inspiration traditionnelle ». Aussi, les études critiques littéraires gabonaises sont généralement le fruit d’une recherche identitaire, d’une part ; le refus d’une société qui s’acculture d’autre part. « comme le roman africain, le roman gabonais évoque la tradition, d’un côté ; la modernité, de l’autre. Cette représentation des deux modèles de société qui coexistent, fonde le réalisme à travers lequel les différents auteurs critiquent la société actuelle ». « Les romans gabonais nous situent dans la modernité et non dans le passé comme on pourrait le penser. Ils soulèvent des problèmes actuels, de l’homme et de la société moderne ». Lire c’est s’intéresser à l’esthétique de l’oeuvre. Elle permet de cerner la complexité de la société actuelle. Il s’agit de ressortir la spécificité esthétique de l’oeuvre. « Le roman gabonais puiserait sa valeur esthétique dans une thématique en rapport avec la société actuelle et dans son ancrage à la tradition orale. Il s’agit donc de l’étude du roman qui consiste à prendre en compte la dimension réaliste. Elle propose d’approcher le roman gabonais en tant que langage en relation avec l’art oral qui vient de la tradition orale, production de l’homme ». Les deux axes de cette approche esthétique sont l’onomastique et la toponymie. Ces derniers mènent à une étude de la représentation de l’oralité dans les oeuvres puis de la vie quotidienne. « Quel rôle joue la tradition orale dans le roman gabonais ? » Toute la question se ramène à savoir dès lors, comment la tradition orale peut être considérée comme rempart au malaise social.
Critique possible de la thèse qui dit que la littérature gabonaise serait non le fait de l’imagination : La littérature procède de l’imaginaire et de l’imagination : L’écrivain est là où il ne pense pas, il pense là où il n’est pas. Le réel littéraire est la défamiliarisation du réel empirique. Il est le résultat de la tension entre les aspirations, entre le monde tel qu’il est et le monde tel qu’on voudrait qu’il soit. Une littérature sans imagination donne un livre historique, un simple récit de ce qui s’est passé autrefois. Or la littérature est l’invention du futur à partir du passé et du présent. Elle est toujours autre chose que le réel. La littérature est l’expression des aspirations. C’est-à-dire l’élan du désir vers ce qui n’est pas.