
Déclamé pour la première fois par Oyono Ada Ngone, le Mvett est un récit qui dit la confrontation perpétuelle entre le peuple d’Okü et le peuple d’Engong. L’enjeu de cette confrontation est le secret de l’immortalité. Le peuple d’Okü, les mortels, recherche ce secret, tandis que le peuple d’Engong, les immortels, le garde jalousement. Ce conflit demeure l’archétype de tous les conflits.
La personnification des valeurs
L’une des interprétations que l’on accorde aux personnages nommés dans les récits mythiques est de considérer que ces personnages nommés symbolisent des valeurs. Ces personnages ont d’abord été historiques puis ont accédé au statut mythique. Leurs noms et leurs actions définissent des valeurs à partir desquels on souhaite forger les hommes.
Le Mvett est le véhicule de la culture fang. Cette culture est une des neufs branches de la culture gabonaise, une des neuf routes.
Les trois familles d’Engong et leurs traits de caractère
Les noms des principales familles d’Engong définissent les traits caractéristiques du peuple fang. Ces traits s’inspirent du travail du fer. Les trois principales familles d’Engong sont : Endong Oyono, Mba Evine Ekang et Meyo m’Ango Ekang.
Endong : Le roc. Première étape du travail du fer. Personnifie la force, l’acharnement, le stoïcisme, la résistance au combat.
Mba : Le fer. L’âge de la civilisation du fer et du travail des métaux. Personnifie l’irréductibilité, l’invincibilité. Ces valeurs amènent à la découverte du secret de l’immortalité. Le plus illustre des Mba est Akoma Mba. Il est le chef suprême d’Engong, le premier homme à avoir découvert le secret de l’immortalité.
Ekang : La gangue. Personnifie la transition, la réflexion, la découverte, l’innovation, la recherche de la technologie, des solutions perfectionnées.
Les Ekang
Les Ekang sont les descendants d’Ekang Nna. Parmi les plus illustres Ekang on nomme Meyé m’Ango Ekang, Ntoutoume Mfoulou, Okome Ekang et Oyono Ada Ngone. Méyé m’Ango inventa le marteau pour briser le roc et assouplir le fer. Ntoutoume Mfoulou qui apprenant qu’il était du clan de la Gangue, se battit en duel contre les Endong et les Mba avec au final ni vainqueur ni vaincu. Ntoutoume Mfoulou personnifie le marteau. Il est le symbole de l’impétuosité, de l’ardeur au combat, du mépris du danger. Okome Ekang, encore appelée Ada Ngone, personnifie la beauté légendaire du peuple fang. Ada Ngone est la mère d’Oyono Ada Ngone. Ce dernier a reçu la révélation du Mvett. Plus tard Oyono Ada Ngone abandonne Engong. Il va s’installer au village des hommes fangs, au sein du groupe Etone (les premiers Fangs), où il leur apprend le Mwett (l’histoire de la descendance d’Ekang Nna) et la guerre. Oyono Ada Ngone personnifie le type parfait du Fang.
L’enseignement du Mvett
Le Mvett enseigne que tout est en soi et l’on est soi-même tout. Tel le fer, l’homme est une pierre brute que l’on forge ou plutôt qui se forge par le marteau de son esprit. L’homme est tout. Il a en lui tout. Aussi, face à l’adversité, il a en lui la force. Il a la force. Il est la force. De par cela, il est convié à cultiver et à forger les valeurs de résistance, d’irréductibilité, de mépris du danger et de l’innovation dans une quête perfective de la solution. Il a à aller au devant du combat, se confronter à l’adversité. Vivre c’est combattre. Et l’homme doit mener ses combats. Il a en lui tout ce qui est nécessaire pour ce combat. Aussi doit-il passer de la matière, du mortel, à l’esprit, à l’immortel, pour créer, conquérir et réussir. Passer de la matière à l’esprit signifie utiliser l’intelligence (Ossimann), accéder à la connaissance (Ayem) et par là déployer la volonté (Avang). Une volonté saturée qui irradie la puissance (Fam). Plus on veut. Plus on peut. La puissance qui se dégage née de la volonté produit l’explosion (Ala’a ossua) qui fait passer de la mortalité à l’immortalité, de la matière à l’esprit, du problème à la solution, de la dictature à la démocratie… L’homme ne trouve pas parce qu’il ne connaît pas. S’il ne connait pas il ne veut pas. Et s’il veut sans connaître, il ne peut pas. S’il ne peut pas, il n’y a pas l’explosion qui produit le changement. Alors par son intelligence, l’homme a à accéder au secret, à la connaissance et à partir de là asseoir son vouloir pour pouvoir, accéder au lieu où on a tout, où il ne manque rien. Ce lieu c’est le Nyéma, la félicité.
Le Mvett, art de la guerre et de la musique, enseigne aussi que « la musique écrase toutes les barrières, toutes les frontières : raciales, linguistiques, politiques, idéologiques, religieuses, dimensionnelles et temporelles » . Il est un art total qui consiste en « la fusion de la parole avec la musique, la poésie, la littérature, la pédagogie, la psychologie, la sociologie, la cosmogonie, la spiritualité en deux mots Culture fang ».
Extrait de L’homme, la mort et l’immortalité
« L’homme comprit alors qu’il n’était pas seulement de chair, de matière, qu’il avait un esprit, qu’il était surtout immatière, Esprit. Mais à cause de la chair, de la matière, la voie le ramenant dans son état initial, dans sa nature véritable, dans son habitation de lumière originelle, lui fut cachée. C’est pour la retrouver, cette voie salvatrice, que l’homme se livre consciemment, et surtout inconsciemment, à tant de combats en ce monde, combats qui perdent progressivement leur sens premier et noble pour s’enliser dans ce vaste champ de bataille dans la matière qu’est devenue la terre. Au lieu de diriger le combat à l’intérieur de soi où règne la volonté, la puissance et l’intelligence afin de les canaliser et à les forcer à ouvrir la porte qui donne accès à l’immortalité, l’homme se disperse et se perd à l’extérieur de lui-même » (Tsira Ndong Ntoutoume, 1993).
Référence
Tsira Ndong Ntoutoume, L’homme, la mort et l’immortalité, Paris, L’Harmattan, 1993.